Dessins d'arches couverture

Les Arches de Daniel Coulet, Dessins d’Arches

Olivier Kaeppelin

Les Rencontres d’Art Contemporain Editions, Cahors, 2019

Les arches couverture

Les Arches de Daniel Coulet

Olivier Kaeppelin

Somogy, Paris, 2017

Les accolades mystérieuses

« J’ai découvert la première arche de Daniel Coulet dans un jardin de Toulouse, le jardin des Abattoirs. Si vous vous y rendez, vous observerez d’abord une ligne dans l’espace. La sculpture semble légère, le haut de sa courbe se mêle au bleu du ciel. Elle génère une élévation, mais cette élévation n’est tributaire que du seul regard. Si je confronte mon corps au bronze de l’ouvrage, en passant à travers sa forme, je suis sollicité par une tension, une déformation qui rompt l’équilibre et qui, par le mouvement m’oblige à prendre conscience de l’instabilité de ma position et de mon assise.
Je ne suis plus cet homme, levant les yeux vers la lumière, mais un marcheur à qui la sculpture rappelle sa nature ambivalente, entre terre et air, accentuée par l’élargissement des pieds de l’arche, par l’état de la patine qui nous livrent à un règne animal déroutant, à une étrange peau de monstres ou de chimères. Les arches de Daniel Coulet sont profondément physiques. Elles sont des corps dont nous ne pouvons préciser l’origine.
Si elles acceptent l’héritage de la pensée scholastique et son aspiration à la lumière, elles le conçoivent sans oubli de la chair, de la substance qui nous attachent au sol.
Elles n’abandonnent jamais la fragilité de la station debout et la souffrance qu’éprouve l’humanité à concevoir son arrachement à la pesanteur. Ses arches ne jouent pas avec l’illusion d’une assomption. Elles soulignent, au contraire, l’enlacement complexe de la matière et de l’esprit.
S’il y a « chimère », celle que j’ai devant moi est faite d’immatériel, de « corps sans corps » et de créatures impressionnantes surgies de la nuit des temps. L’arche réunit, ici, des contraires. Ses règnes, ses rythmes génèrent des « formes monstres » semblables à celles de la poésie. En passant sous l’arche, ne sommes-nous pas d’ailleurs entraînés, dans un espace immense, plus grand que nous, comme celui de la baleine de Jonas. La sculpture nous avale et nous enveloppe dans le volume qu’elle crée.
En ce sens, l’arche est une porte vers l’inconnu, vers un autre territoire. Les sculptures de Daniel Coulet se construisent par cet acte : franchir le seuil. Par leur déploiement elles exercent leur emprise sur le vide qui les entoure « avant et après » la traversée.
Elles peuvent être fines, fragiles comme une branche souple et pliée ou, au contraire, se dresser comme les portes de l’enfer ou du paradis. Il leur arrive de porter des corps torturés qui sont, peut-être, ceux de damnés ou, au contraire, ceux qui, après l’apocalypse, libérés de leur poids, trouvent la vie nouvelle. Elles prennent parfois l’allure de divinités sombres et cruelles, de cerbères exhibant, à leur portail, les têtes de ceux qui n’ont pu accéder à l’univers « au-delà ».
Ces sculptures se dressent, accueillantes ou hostiles. Elles permettent l’expérience ambiguë de l’espace, de ses réversibilités. Elles créent ainsi une scène où nous sommes conduits, au bord d’une frontière, à faire « le pas au-delà ». Il y a, l’envers et l’endroit, le passé et le futur, le jour et la nuit, la souffrance et la joie. Nous sommes les sujets de ces architectures duelles qui nous dominent.
Leur mode d’existence, nous oblige à tourner autour de leur construction. Elle nous impose une définition en écho à cette structure statique qui nous attache à son immobilité.
Cette situation d’arche unique n’est qu’une des manifestations possibles de son existence. Elle est un point de départ qui s’est enrichi par des dédoublements, des gémellités, des multiplications reliant une arche à une autre, dans l’imaginaire d’un cloître, d’une abbaye ou d’un palais. Ainsi peuvent-elles nous enfermer, un temps, dans un volume ou, au contraire, par l’air qui circule entre elles, créer une scansion qui invite à la progression du marcheur. La lumière n’est plus alors une source, une étoile à atteindre ou un mystère à découvrir « derrière le miroir ». Elle joue, désormais, avec l’ombre des vides et des pleins que les arches génèrent. Il ne s’agit plus de franchissement mais de pas, de chemin, de passage. L’en-deçà et l’au-delà disparaissent au profit d’un déplacement qui transforme le sujet qui l’accomplit. L’expérience n’est plus l’expérience d’une révélation mais d’une métamorphose.
À m’imaginer, avançant sous ces arches, c’est une clairière dans lesquelles je chemine. Plus abstraitement, c’est un processus de modification que j’expérimente. À ce moment, « l’acteur des arches » devient « l’homme du passage ». Dans le mouvement et par le mouvement, il va se renouveler. Ces sculptures proposent l’espace d’une initiation, c’est-à-dire d’un espace où les jeux de valeurs, les continuités, les décalages, les ruptures, les variations transforment celui qui s’y livre.
Il n’y a, désormais, plus de totalité ou de dualité entre des totalités contraires nous sublimant ou nous terrassant mais l’extension d’un mouvement. Le moment plein de la course est notre nouvelle totalité mais, cette fois, totalité dont nous savons qu’elle est insaisissable. Nous la connaissons parce que désormais l’architecture nous a rendus mobiles. Je me souviens avoir écrit dans un poème, en pensant à James Joyce, ces mots traduisant cette métamorphose du marcheur dans la ville :
« Arche sur Arche
les quais, les hôtels
Mais vide est la pierre jusqu’à
la chambre sourde
dévorée par les mots »
L’homme de ce poème traverse, une cité, la nuit et ces pas « Arche sur Arche » le changent. L’homme de ce poème comme l’acteur des sculptures de Daniel Coulet n’est plus rien si ce n’est la lumière du déplacement qui l’anime et le définit. Il devient « l’homme du passage » que j’évoquais. Passage qui lui permet, par son avancée, de changer, changer de corps, d’esprit, de vie. Cette poétique du passage traverse toute l’œuvre de Daniel Coulet, dans ses sculptures comme dans ses admirables tableaux où une population d’anges, d’hommes et d’animaux traversent des forêts, des espaces en feu, pour s’aventurer dans le territoire de la peinture même. Il n’y a plus de début ni de fin, mais un état de transmutation, peut-être de transformation, dans lequel « Arche sur Arche », le déplacement nous entraîne. Ce sont ces formes, ces mots « Arche sur Arche » qui donnent la cadence. Ils induisent le flux des sculptures de Daniel Coulet. Porte, passage, flux, ces mots donnent tout leur sens à ses œuvres. Elles provoquent le basculement, un dialogue entre haut et bas, où les directions se modifient sans cesse. « Arche sur Arche » produit alors le sentiment d’une virtualité permanente. C’est à cet instant que les principes axiaux de la sculpture s’inversent et que là où je voyais une voûte, je vois désormais, une coque, un bateau. Je ne lève plus le regard entre un portail et un chœur. L’élévation disparaît révélant ainsi la présence d’une autre nef. L’espace chavire de haut en bas, cette nef navigue à la surface des eaux. La maison est devenue barque. L’angle aigu du toit, tourne sur lui-même. L’arche inversée se met à l’eau. Les sculptures nous entraînent dans une giration qui définit la nature très singulière des œuvres de Daniel Coulet. Il n’érige plus classiquement une sculpture ni ne la met à terre, comme l’a souhaité Carl Andre, mais crée un espace plastique dont le principe est cette giration. Daniel Coulet propose donc de franchir, d’élever, mais dans le même temps de retourner, de « naviguer » et ainsi d’habiter, par ce double état, les volumes qu’il crée. Il s’empare des arcades et des arcatures. Grâce à elles, il crée un espace qui est, à la fois, une architecture, un corps, un cœur, un chemin et un mouvement pur. Chacun peut y associer sensation et spiritualité, dans un champ mental mobile et presque cinématographique.
En ce sens, il suit, au plus près, les recommandations d’Auguste Rodin données dans ses entretiens réunis par Paul Gsell.
« (…) Fortifiez en vous le sens de la profondeur. L’esprit se familiarise difficilement avec cette notion. Il ne se représente distinctement que des surfaces. Imaginez des formes en épaisseur lui est malaisé. C’est là pourtant notre tâche. »
« (…) Toute vie surgit d’un centre puis elle germe et s’épanouit du dedans au dehors » et encore « le grand point est d’être ému, d’aimer, d’espérer, de frémir, de vivre. Être homme avant d’être artiste ! « La vraie éloquence se moque de l’éloquence » disait Pascal. Le vrai art se moque de l’art (…). »
Daniel Coulet se moque de l’art comme simple agencement formel. Son travail sur les arches n’est en aucun cas un thème à illustrer ou un projet à exécuter. Il ne se développe, ne s’enrichit, ne varie qu’en fonction de sa profonde connaissance, l’expérience actuelle de ces formes : arc, arches, arcades. S’il s’inspire librement de certains principes d’architectures, il crée, avant tout, un territoire inédit, qui lui est propre, dont la poétique permet l’accès à une cosmogonie dont les points de fuite, les perspectives, sont avant tout intérieures, en quelque sorte une cosmogonie vernaculaire.
En parcourant les chemins ménagés ou projetés par ces arches, en devenant leur « cheminot », naît un sentiment rare et ambivalent. Celui d’une terre à laquelle nous sommes ancrés, dont nous sommes les journaliers. Nous en connaissons le poids, le dessin, les lignes. Il ne s’agit pas cependant d’en être les géomètres mais les visionnaires. Depuis le cœur, la main du sculpteur, cette vision se déploie. Elle nous saisit pour un univers où le mot arpenteur est remplacé par celui d’apesanteur. Daniel Coulet sculpte cette apesanteur. »

Olivier Kaeppelin

Entretien de Daniel Coulet avec Olivier Kaeppelin

Olivier Kaeppelin : Comment as-tu imaginé et conçu ta première arche ?

Daniel Coulet : Jeune sculpteur je n’ai pas voulu, peut-être par instinct, m’inscrire dans ce que je voyais dans les musées, galeries d’art ou ce que je lisais dans les revues. Il ne s’agissait pas de prétention mais de sincérité. Je ne m’y reconnaissais pas. Comment créer ? Comment s’exprimer sincèrement dans son propre univers ? Ce que l’on nomme rapidement son style ? J’ai donc voulu dans un premier temps par simple modelage disloquer le volume dans l’espace et dans un deuxième temps, afin qu’il devienne aérien et traduise la verticalité que je recherchai, je l’ai traversé d’axes métalliques rigides. J’ai pu ainsi à la fois satisfaire mon désir d’utiliser le modelage qui me permettait d’obtenir la matière que je cherchais et mon intention d’une élévation spirituelle. J’ai constaté alors qu’en croisant ces deux désirs des arches se révélaient !

Que retiens-tu de plus important dans tes arches : la forme, le symbole, le rythme ou la ligne ? Comment vis-tu ou comprends-tu ces différentes dimensions ?

Mes arches ont une efficacité visuelle qui découle de la force d’un modelage « massif », né d’un mouvement, d’une torsion, Rodin parle très bien de cela. Ce mouvement engendre la forme, la ligne et la surface dans le même temps. C’est pour cela qu’il est si difficile à réaliser. La symbolique qui en naît ne dépend pas de moi, mais de la lecture de ceux qui regardent l’arche. C’est certes une forme riche de sens et de liens, dont la signification ne m’appartient pas. La forme crée le sens.

Peut-on dire que ces arches sont une porte, un chemin ou encore un «passage» ?

Chacun définit les choses à partir de son expérience. L’idée d’une élévation et d’un passage est très présente dans mon atelier. Je nomme certaines de mes arches aussi « portes ».

Fais-tu une relation entre tes formes plastiques et certaines cultures religieuses, à travers un thème ou un type d’architecture ?

Pour comprendre l’évolution de la sculpture, j’ai dû partir à la découverte des chefs d’œuvre du passé dans les églises, les cloîtres et les couvents, dans toute l’Europe et au-delà. Il y a une influence de ces sources dans mon travail. Toutefois, s’il a une dimension spirituelle, mon travail n’est pas religieux de mon fait. Je ne nie pas que mes créations puissent, parfois, concerner le sacré. Un sacré par exemple qui s’oppose à la trivialité du commerce ou de la communication. Il est ce qui met les objets et les idées «ailleurs» et, sans doute, au-dessus de notre condition ordinaire. Où ? Personnellement, je ne le sais pas.

Comment vois-tu tes sculptures en relation avec la sculpture moderne et contemporaine ?

Mes arches sont, bien sûr, en relation directe avec la sculpture moderne et contemporaine. Par rapport à certains courants de cette période, la grande différence est que je ne travaille pas à partir d’une idée, d’un concept que ma sculpture illustrerait. Par ailleurs, je crois que c’est dans la continuité de l’histoire de la sculpture que s’affirme mon travail. Il est totalement innovant car il bouscule la tradition, mais je n’oublie pas l’héritage des sculpteurs occidentaux. Par exemple, je pense que le fait de connaître le travail de la sculpture sur le corps, au début et à la fin du XIIIe siècle, m’a aidé dans la réalisation de certaines arches, autant que de connaître les modelages de Rodin, De Kooning, Germaine Richier, Toni Grand et quelques autres. C’est fort de ces sources que je laisse, par exemple dans le modelage de la terre, « apparaître » le fond spirituel et original de mon travail.

Qu’est-ce qu’une œuvre, pour toi, réalisée pour un espace public. Je viens d’évoquer le cadre religieux mais tu as aussi créé des œuvres pour d’autres types d’espaces, jardin ou métro… Comment envisages-tu la relation de ton travail avec ces espaces ou avec la notion de monument ?

Mon travail porte sur l’interrogation du sacré. D’ailleurs la majeure partie de l’histoire de l’art tourne autour de cette dimension même sous la forme du sacrilège ou de l’ironie ! Ce sacré n’est pas religieux, il ne touche pas, non plus, la dimension « new age » qui encombre nos mentalités. Mes œuvres sont généralement placées dans des lieux choisis par les commanditaires (jardins et places publics, stations de métro). J’échange, d’abord, avec des ingénieurs et des paysagistes avant que mon œuvre soit vue par le grand public. Ce dernier n’a pas toujours envie de voir de l’art et n’a pas souvent les clés culturelles pour le comprendre. Il faut donc trouver le « plus petit diviseur commun », mais sans jamais, se renier ! Il faut toujours continuer à évoquer le dépassement de nous-mêmes particulièrement vis-à-vis de ceux qui luttent pour survivre et avoir une vie meilleure ! Je crois qu’ainsi, je respecte mieux mes semblables. Plus la vie est difficile plus il est indispensable de permettre d’entrevoir un peu de lumière, par l’évocation, par la connaissance sensible…

Peux-tu évoquer les matériaux que tu utilises, depuis les matériaux synthétiques (époxy, résine), jusqu’à des matériaux comme le bronze ou l’aluminium ?

Dans ma création, il y a deux types de matériaux bien distincts.
1 – Je modèle la sculpture avec des pâtes spécifiques, de la terre, des pâtes à modeler variées… Suivant la fluidité de ces matériaux, la sculpture naît dans des consistances différentes, avec une allure modifiée. La terre offre une variété infinie de possibilité de modelage. D’un emploi au départ très simple, on débouche sur des solutions complexes. J’ai besoin d’un matériau qui imprime les impulsions, les mouvements et quelquefois les propriétés ascensionnelles du volume.
2 – La sculpture originale achevée, je fais fondre les pièces en bronze, en aluminium ou en composites (exclusivement pour des pièces à l’intérieur). C’est le rapport à la lumière de chacun de ces matériaux qui dirige mon choix. Le bronze a un rapport très particulier à la lumière qui convient aux arches. Il absorbe la lumière. L’aluminium, au contraire, renvoie cette lumière. Je joue avec cela. Ces deux matériaux développent des sémantiques différentes.

Ton imaginaire s’enracine dans ton pays. Tu aimes sa nature, sa culture, son art, ses églises…

Je me sens en osmose avec le maquis méditerranéen et les garrigues des régions de Nîmes et du nord de Montpellier. J’ai côtoyé la sculpture romaine très tôt et je connais l’amphithéâtre de Nîmes par cœur. Par ailleurs, je réalise encore aujourd’hui des marches dans le maquis méditerranéen. La perle romane de Saint-Martin-de-Londres et le Prieuré de Saint-Guilhem-le-Désert, me servent de halte. Je suis imprégné par ces origines sans pouvoir dire exactement si telle ou telle pièce découle de cette influence.

Ton œuvre est avant tout une question de forme et d’espace bien plus que d’images et d’objets. À partir de l’expérience cognitive et sensorielle que tu proposes n’y-a-t-il pas l’ambition du partage d’une expérience universelle ?

Oui absolument c’est même l’essence de mon travail et de ma réflexion… Comment faire ressentir et comprendre à ceux qui regardent et regarderont ces œuvres ce partage que je qualifie de « adogmatique » ! L’émotion et le sacré unissent, alors que les religions et les vérités assignées divisent à partir, hélas, de leurs dogmes ! Afin d’éviter ce que René Char nommait « les temps d’inclémence » je cherche à exprimer ce possible partage dans mes sculptures mais en évitant l’expression d’une spiritualité de bazar ou une stratégie de reproduction commerciale ou encore une copie stérile et kitsch d’un supposé âge d’or artistique. Je tente d’offrir, à travers mes œuvres, un chemin que j’espère à la fois individuel et collectif.

Ludwig Museum couverture-2

Ludwig Museum, 1992-2012, 20 Jahre

Beate Reifenscheid

Heinrich Koblenz, Coblence, 2012

« Considéré comme l’un des représentants les plus prometteurs de la scène artistique française, le sculpteur et peintre Daniel Coulet (né à Montpellier en 1954) se partage entre Paris et Toulouse. Ce sont notamment ses importantes sculptures monumentales érigées dans l’espace public tout au long de ces dernières années qui ont révélé son travail remarquable comme sculpteur (par exemple dans les projets pour le métro de Toulouse ou dans le jardin de sculptures du Musée d’Art Contemporain de Toulouse).

Daniel Coulet pratique par ailleurs la peinture et le dessin. Il y utilise principalement de l’encre de Chine qu’il préfère pour sa noirceur conférant à ses motifs une profondeur et une agitation quasi mystiques. Dans ses oeuvres picturales, il parvient à s’immerger dans les tourments de l’âme humaine. En modulant le noir jusqu’à tirer sur le gris clair et en intégrant parfois des rehauts de blanc, mais aussi en employant de l’encre rouge afin de rendre les émotions plus aiguës, il crée directement à partir de ce flux de couleurs qui évoque un enchevêtrement de contes de fée, de cauchemars et de visions infernales. De toute évidence, Coulet se réfère également à d’illustres prédécesseurs comme Auguste Rodin (1840-1917), s’inspirant d’un point de vue iconographique et stylistique de la « Porte de l´Enfer » (1885) pour ses portes monumentales, mais aussi des torses et des figurines élancées d’Alberto Giacometti ou encore de l’atmosphère chargée d’expression dans l’œuvre d’Edvard Munch (par exemple dans « Le Cri » datant de 1905). Toutefois, ce qui est déterminant pour la compréhension de son œuvre n’est pas l’adaptation de ces sources d’inspiration, mais plutôt son langage et sa prise de position personnels que Coulet s’est appropriés depuis longtemps à travers la sculpture et la peinture. Plus encore que dans ses dessins, c’est dans les sculptures qu’il s’affronte aux lois de l’architecture, décomposant des surfaces en ossatures et ramifications quasi filigranes. C’est toujours à partir de la ligne qu’il développe la forme.

La présentation du Ludwig Museum sera la première exposition individuelle de l’artiste en Allemagne. Le Musée Paul Dupuy à Toulouse s’est associé à cette manifestation en mettant l’accent sur les dessins de Coulet, alors qu’au Ludwig Museum, les dessins de grand format dialogueront avec les maquettes des sculptures et les grandes sculptures en bronze. Pour ses maquettes, Daniel Coulet utilise une résine artificielle spéciale. Cette matière assez peu courante mais très parlante lui permet des réalisations de toute dimension tout en préservant les détails de l’œuvre. L’exposition au Ludwig Museum comprendra un ensemble important de sculptures récentes ainsi que deux grandes sculptures à l’extérieur du musée et – également en coopération – la présentation d’un grand retable (4,50 m x 6 m environ) dans l’église avoisinante de St. Kastor, spécialement conçu par Daniel Coulet pour ce lieu. Des dessins sur toile et sur papier de riz en grand format mettront en relief les motifs de prédilection de Coulet sans qu’on puisse les réduire à des études préliminaires aux sculptures.

Cette exposition sera soutenue par la Fondation Rhénanie-Palatinat pour l’art et la culture ainsi que par le Ministère français de la Culture à Paris. Elle sera organisée en étroite collaboration avec l’artiste et avec le Musée Paul Dupuy à Toulouse. A l’occasion de l’exposition, un catalogue sera publié (français / allemand). »

Dr. Beate Reifenscheid
Koblenz, le 12 janvier 2010

« Der in Paris und Toulouse ansässige Bildhauer und Maler Daniel Coulet (geb. in Montpellier 1954) gilt als einer der aufstrebenden Künstler der französischen Kunstszene. Vor allem größere Monumentalskulpturen, die Daniel Coulet in den vergangenen Jahren im öffentlichen Raum platzieren konnte, weisen ihn als einen Meister der Skulptur aus (Projekte in der U-Bahn in Toulouse, im Skulpturengarten des Musée d’Art Contemporain in Toulouse etc.).

Daniel Coulet arbeitet darüber hinaus als Maler und Zeichner. Hier nutzt er vornehmlich chinesische Tusche, deren Schwärze er bevorzugt, um seinen Darstellungen eine nahezu mystische Tiefe und Unruhe zu verleihen. In seinen Bildwerken vermag er es, in die Tiefen menschlicher Abgründe hinab zu steigen. Er entwickelt gleichsam im Fluss aus Farben (indem er das Schwarz bis in helle Grautöne modelliert und gelegentlich Weißhöhungen einbezieht, wie er auch rote Tusche zur Steigerung der Emotionen verwendet), der seinerseits ein Szenario aus Märchen, Albträumen und Höllenvisionen evoziert. Coulet rekurriert dabei scheinbar auch auf bedeutende Vorbilder wie Auguste Rodin (1840-1917), dessen Porte de l´Enfer (Höllentor, 1885) er ebenso ikonografisch wie stilistisch für seine monumentalen Tore nutzt als auch die schlanken Gestalten und Torsi bei Alberto Giacometti oder die aufgeladene expressive Stimmung im Werk von Edvard Munch (z.B. in „Der Schrei“ von 1905). Entscheidend ist für das Verständnis seines Werkes jedoch nicht die Adaption des fremden Werkes, sondern die eigene Sprache und Formulierung in der Skulptur und der Malerei, die Coulet längst gefunden hat. Mehr noch als in der Zeichnung setzt er sich in der Skulptur mit den Gesetzen der Architektur auseinander, löst Flächen in nahezu filigrane Verstrebungen und Verästelungen auf. Die Form entwickelt er immer aus der Linie heraus.

Die Präsentation im Ludwig Museum wird die erste Einzelausstellung des Künstlers in Deutschland sein. Als Partner der Ausstellung konnte des Musée Paul Dupuy in Toulouse gewonnen werden, das hauptsächlich das zeichnerische Werk von Coulet vorstellen wird, während im Ludwig Museum die großformatigen Zeichnungen mit den Skulpturenmodellen und den großen, in Bronze ausgeführten Skulpturen in einen Dialog treten werden. Bei den Modellen verwendet Daniel Coulet als sehr eigenwilligen, jedoch höchst anschaulichen Werkstoff einen speziellen Kunstharz (resin) an, der ihm alle Größen in der Ausführung bei gleichzeitiger Wahrung der Details erlaubt. Vorgesehen sind eine größere Gruppe an neueren Skulpturen im Ludwig Museum sowie zwei große Skulpturen im Außenbereich des Ludwig Museum sowie – ebenfalls in Kooperation – die Präsentation eines großen Retabel (Altarbild, ca. 4,50 m x 6 m) in der angrenzenden St. Kastor Kirche, das Daniel Coulet eigens angefertigt hat. Großformatige Bilder (Zeichnungen auf Leinwand und auf Reispapier) akzentuieren die motivischen Themen von Coulet, ohne sich als Vorstudien zu den Skulpturen zu verstehen.

Die Ausstellung wird unterstützt von der Stiftung Rheinland-Pfalz für Kunst und Kultur sowie vom Ministère de la Culture de France in Paris. Sie entsteht in enger Zusammenarbeit mit dem Künstler zum einen und mit dem Musée Paul Depuy in Toulouse zum anderen. Zur Ausstellung entsteht ein Katalog (frz./deutsch) bei Silvana Editoriale. »

Dr. Beate Reifenscheid
Koblenz, le 12 janvier 2010

tram couverture

Tram
Friedmann, Pencreac’h, Coulet, Fauguet

Olivier Kaeppelin

Éditions Privat, Toulouse, 2011

« L’œuvre de Daniel Coulet est celle d’un visionnaire. Les formes qu’il sculpte renvoient à des fragments de réalité que nous connaissons, corps humains, fleurs, têtes de chevaux, arches, mais à ce point saisis par un mouvement, une torsion, une abstraction qu’elles révèlent le dessein de l’artiste: exprimer un espace interne, construit par l’obsession de la lumière, de la matière, de la nature emportée par des « phénomènes» les transformant. Ceux-ci peuvent être, pour une part, nommés. Ils sont parfois porteurs de tragique: feux, fuites, orages, ténèbres, comme ils peuvent signifier aussi l’exaltation, l’élévation, la joie.

Les œuvres de Daniel Coulet sont faites de ce paradoxe, cette contradiction qui leur donne une dimension théâtrale. Elles ne puisent pas dans les images de l’époque mais, à la manière de certaines œuvres chinoises contemporaines, elles manient des images immémoriales ou des représentations qui trouvent leur origine dans des textes légendaires: la Bible, l’Odyssée, le Graal et la Table ronde, ou encore, plus près de nous, William Shakespeare, Ezra Pound ou Ted Hughes. Le pari est que ces formes, traversant le temps, soient plus contemporaines de nos vies que les figures de l’actualité. Je comprends, en ce sens, la présence récurrente du cheval à travers les parties de son corps: tête, échine ou, comme ici, à Toulouse: sabot, muscles, jambe. La sculpture qui, selon les angles, peut apparaître abstraite ou figurative, est un défi, une affirmation de l’énergie, une rupture dans l’univers de la ville qui, par définition, est codes, règles et grammaires. Il y a donc dans cette sculpture une attitude donquichottesque ou plus encore arthurienne, quand celui-ci dit à Jaufré qu’il est temps d’aller chercher les chevaux pour partir à l’aventure puisque les aventures ne viennent pas à la cour, c’est-à-dire au lieu de la loi, de la civilisation, de la cité. Cette œuvre, sous ses aspects trompeurs de composition classique, est une œuvre rebelle, à la façon qu’évoque Pier Paolo Pasolini quand il déclare qu’il faut croire à «l’extraordinaire force révolutionnaire du passé », un passé qui, par sa résurgence au cœur de la «mondanité» du présent, interroge et critique sa convention mais, plus encore, devient une force agissante pour redonner vie à l’univers, grâce à une conscience plus profonde du temps. À la manière de Bartabas ou de Pierre Guyotat, cette célébration d’une forme et d’une substance anciennes, apparaissant et disparaissant dans le reflet du soleil sur la fonte d’aluminium, est un appel à éprouver en nous, qui sortons des bureaux de la ville affairée, l’hypothèse, à chaque instant, d’une ville inventée, d’une vie nouvelle. »

« Si che chiaro
Per essa scenda della mente il fiume. »
Dante, Le Purgatoire, vers 89, chanl 13

Olivier Kaeppelin
Extrait de La ligne du Tram et la route de Grenade

entre ciel et enfer couverture 2

Daniel Coulet, entre ciel et enfer [Zwischen Himmel und Hölle], Ludwig Museum

Beate Reinfenscheid, Jean Penent

éd. bilingue, Silvana Editoriale, Milan, 2010

Ombre et lumière, Daniel Coulet

« …Les religieux et le Ministère de la Culture chargèrent Daniel Coulet de réaliser l’ensemble des vitraux de l’église Notre-Dame d’Aubin dans l’Aveyron avec le maître-artisan Jean-Dominique Fleury. En réinterprétant de façon innovante la matière première – le verre – et en affrontant de façon personnelle les deux sujets proposés (La vie de Sainte Emilie de Rodat et Le père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, haut responsable des Carmes), l’artiste est ainsi le principal responsable de la transformation de cette église en un lieu de grand intérêt tant pour les croyants que pour les touristes. Il peut aussi apparaître significatif dans ce contexte que, non loin de là, Pierre Soulages, ait obtenu quelques années plus tôt la charge de la réalisation des verrières de l’église de l’Abbatiale Sainte-Foy de Conques. Originaire de Rodez, l’artiste y a réalisé au total 95 verrières qui, grâce à l’utilisation du verre opalescent associé à des bandes noires, créent dans l’église une mise en scène lumineuse tout à fait particulière. Malgré les nombreuses différences formelles entre les deux œuvres, on ne peut pas manquer de prendre en considération, non seulement la proximité géographique entre les deux églises, mais aussi la barre placée en quelque sorte très haut sur le plan artistique par Pierre Soulages, comme un véritable défi pour Daniel Coulet. Avec un style extrêmement personnel, les deux artistes ont réussi à faire naître quelque chose qui peut être assimilé à une profonde expérience spirituelle à partir de l’expérience visuelle de l’observateur; l’un d’une façon totalement abstraite, l’autre avec les formes de la narration et de l’iconographie traditionnelle au sein desquelles il a toutefois infusé une nouvelle vie. Dans cette œuvre, Daniel Coulet prouve qu’il possède un vocabulaire iconographique qui évoque les maîtres du passé sans pour autant devoir renoncer à ses interprétations innovantes et aux marques typiques de son style. En résumé, on y trouve presque tout son répertoire pictural, l’ensemble des personnages et des détails qu’il emploie constamment et dont il fournit toujours de nouvelles versions.

Ce que Daniel Coulet crée dans sa sculpture, sous la forme de simples lignes, ne sont rien d’autre que des ombres. En même temps – et c’est ce qui constitue la grandeur de sa méthode artistique – la ligne devient architecture et réveille dans l’esprit de l’observateur l’image des cathédrales gothiques. Ligne et ombre se transforment en monument… L’impression la plus persistante que laissent les sculptures de Daniel Coulet réside dans leur nature monumentale, dans leur tentative de s’élever et de « croître au-delà d’elles-mêmes », caractéristiques qui leur confèrent quelque chose de majestueux. Et parfois, Daniel Coulet concilie l’éloignement de l’homme et de la nature, qui partent à la dérive dans des directions opposées, de façon à dépasser cette distance en récupérant le lien avec la nature et en orientant tout ce qui est terrestre vers la lumière, vers Dieu… »

Beate Reifenscheid
Extraits du texte : Ombre et lumière, Daniel Coulet, éd. Silvana Editoriale, Milan – Ludwig Museum de Coblence 2010

Schatten und Licht, Daniel Coulet

« …Der Orden und das Kulturministerium beauftragten Daniel Coulet gemeinsam mit dem Glaser-Meister Jean-Dominique Fleury, die Kirchenfenster von Notre-Dame d’Aubin in Aveyron neu zu erschaffen. Es liegt wohl insbesondere an Daniel Coulets neuer Interpretation des Materials Fensterglas sowie seiner individuellen Auseinandersetzung mit den beiden gestellten Themen (La vie de Sainte Emilie de Rodat und Le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, hochrangiger Amtsinhaber des Karmeliterordens)), dass die Kirche seitdem zu einem neuen Anziehungspunkt für Gläubige und Touristen geworden ist. Es mag in diesem Zusammenhang bedeutsam sein, dass, nicht weit entfernt davon, wenige Jahre zuvor Pierre Soulages in seiner ehemaligen Heimatstadt Rodez den Auftrag erhalten hatte, die Fenster der Abteikirche von Sainte-Foy de Conques zu gestalten. Insgesamt vollendete er dort 95 Fenster, in denen er mit einem milchig-opaken Glas und schwarzen Streifen eine ganz eigene Lichtregie für die Kirche entwickelte. Man wird trotz aller formaler Unterschiede nicht umhinkönnen, nicht nur die geografische Nähe der beiden Kirchen als eine Herausforderung für Daniel Coulet zu begreifen, sondern auch die von Pierre Soulages künstlerisch vorgelegte hohe „Messlatte“. Beiden ist es gelungen, mit ihrer ganz eigenen künstlerischen Ausdrucksweise etwas in der Anschauung durch den Betrachter freizusetzen, das sich mit tiefer Spiritualität in Verbindung bringen lässt. Der eine auf eine vollkommen abstrakte Weise, der andere mit den Formen der Narration und der traditionellen, wenngleich neu beseelten Ikonografie.

Hier nun entfaltet Coulet ein ikonografisches Vokabular, das an die alten Meister erinnern lässt, ohne dass er auf neue, für seinen malerischen Duktus typische Akzente und Interpretationen verzichten würde. In der Summe findet sich hier nahezu sein gesamtes malerisches Repertoire mit den Figuren und Details, die er immer wieder verwendet und variiert… Was Daniel Coulet erschafft in seinen auf die Linie reduzierten Skulpturen, ist nichts anderes als Schattengebilde. Zugleich – und das macht die Größe seines künstlerischen Handels aus – wird die Linie zur Architektur und verlebendigt die Assoziation an gotische Kathedralbauten. Linie und Schatten werden Monument… Der nachhaltige Eindruck seiner Skulpturen orientiert sich jedoch an deren Monumentalität, an dem Grad ihres Aufstrebens und „über sich selbst Hinauswachsens“, der ihnen etwas Majestätisches verleiht. Dergestalt versöhnt Coulet zuweilen das Auseinanderdriften von Mensch und Natur, überbrückt die Entfremdung in der Rückbindung an die Natur und im Ausrichten (und Ausgerichtetsein) alles Irdischen auf das Licht, auf Gott… »

Beate Reifenscheid
Auszüge aus dem Text: „Schatten und Licht, Daniel Coulet“, Hrsg. Silvana Editoriale, Mailand, Ludwig Museum, Koblenz, 2010

Jugement dernier, déluge et autres

« L’univers personnel de Coulet fait corps et âme avec ce territoire du Languedoc méditerranéen où la vigne le dispute âprement à la garrigue et au chêne vert, où des villages recèlent des trésors oubliés d’art roman, où chaque arbre et chaque pierre, la terre même, évoquent la plus terrible des tragédies, celle qui vit l’anéantissement d’une civilisation. On ne sera donc pas étonné par l’étrangeté de certains titres, en appelant au Jugement dernier dans un paysage ou au Jugement dernier dans un sous-bois… Des événements terribles – le Juge Eternel séparant les élus des réprouvés – sont censés se dérouler dans des lieux majestueux et paisibles, des havres de fraîcheur lorsque le temps est lourd. On devine des accusations et des sentences mystérieuses, avec des personnages qui se mêlent aux arbres, deviennent arbres eux-mêmes. Parfois, un rameau, comme une couronne, enveloppe l’un d’eux. Des arbres finissent par former des arcades dans lesquelles s’inscrivent des silhouettes hiératiques, tels les saints ou les anges des sarcophages paléochrétiens. Ailleurs, ces éléments deviennent architecturaux pour enchâsser sous des arcs en plein cintre leurs théories d’élus.

Insensible au temps et aux modes, Coulet ne cesse d’interroger les artistes millénaires qui ont fasciné son enfance et qu’il voit vivants. Ses compositions, superposant les scènes et les registres, évoquent sans trop le savoir les tympans des portails d’églises (Treize personnages ; Deux anges traversant un déluge…), ses processions des ornements de linteaux, ses figures solitaires filiformes les saints longilignes des trumeaux et des jambages. Il entend se mesurer au Maître de Cabestany dont le fameux sarcophage du Martyre de Saint Sernin orne la modeste église de Saint-Hilaire-d’Aude, et qu’il comprend si bien, de compagnon à compagnon. A cet artiste roman, présent non loin de là encore dans ce périmètre privilégié, à Lagrasse, à Saint-Papoul et à Rieux-Minervois, connu de la Toscane à la Navarre, il rend hommage avec deux grandes sculptures sous le titre explicite Portes pour le Maître de Cabestany, 1 et 2. Un autre point d’ancrage de l’imaginaire de Daniel Coulet est le site de Saint-Guilhèm-le-Désert. Ici la grandeur de l’art médiéval s’accorde à la rudesse de son environnement, fait de rochers tranchants, de buissons épineux et d’arbres tourmentés comme pendus dans le ciel. Dans ce décor sacré où se retira du monde le fameux « Guillaume d’Orange » – une vingtaine de chansons de geste lui sont consacrées -, il a placé au premier plan deux anges marcheurs, comme saisis par la splendeur qui se déploie devant eux (0739). Ce « paysage dramatique » accompagne ou introduit une série associant des arbres calcinés sur des fonds flamboyants, à des silhouettes d’hommes, parfois mêlés à des chevaux. Cet ensemble, souvent représenté par des compositions sur papier marouflé et de grands formats, constitue une innovation dans la production actuelle de l’artiste, qui nous offre des sujets aussi insolites que L’homme à la bécasse (0747), Personnages, oiseaux et poissons (0751) ou Voici qu’apparut à mes yeux une foule immense que nul ne pouvait dénombrer (0778). La spiritualité qui émane des œuvres de Daniel Coulet, tant dans les divers domaines de sa création – l’exposition présente un magnifique projet de chapelle, à la fois sculpture et architecture (6088) – a suscité l’intérêt de commanditaires religieux. Après les vitraux de l’église Notre-Dame d’Aubin (Aveyron), sur le thème de la Vie de sainte Emilie de Rodat, il a réalisé l’entier décor de l’église de Bordes (Pyrénées-Atlantiques), associant peinture et sculpture, et il présente sous nos yeux le non moins important Retable pour la basilique Saint-Castor de Coblence, lequel montre au centre d’un triptyque, le Sermon du Christ sur la montagne et, sur les volets Le Déluge et La Source de vie. Les lieux suggérés sont toujours évocateurs des arides collines du Languedoc et de leurs maigres arbres, mystérieusement rivés à la vie. Des perspectives prometteuses s’ouvrent avec le Paysage à l’arbre aux pendus (0807). Et toujours des personnages courent. Ils nous semblent déjà bien loin. »

Jean Penent

Daniel Coulet, Les vitraux de l’église Notre-Dame d’Aubin couverture

Daniel Coulet, Les vitraux de l’église Notre-Dame d’Aubin

Pierre Cabanne

Éditions Un, deux, quatre, Clermont-Ferrand, 2004

« Le noir n’est pas la nuit, ou l’ombre, sa matière recèle les germes des signes qui se déploieront contenant et donnant la vie à des figures errantes, spectres ou chimères, tout un peuple à l’existence secrète porteur de rêves. Tracer du noir c’est unir le visible et l’invisible, le cauchemar et la veille, l’expression et l’abstraction.

Le noir est une couleur qui donne lieu à d’impalpables nuances ou à des rayonnements aux gammes multiples d’intensité, de luminosité ou de gravité ; il n’est ni le deuil, ni le soleil froid et ses clairs-obscurs des crépuscules de mélancolie ou d’attente ; les peintres, depuis longtemps, cherchent dans le noir un langage de passion dans la plus complète liberté, l’instant intense d’un geste ou d’un cri, peut-être d’une blessure, dont la charge d’émotion lie l’esprit et la main. Ainsi chez Daniel COULET sculpteur et peintre.

La sculpture est volume et pesanteur, elle a sa place puissante dans l’espace, l’écriture du cerne emprisonne la forme, tous deux font appel à la lumière ou sont tributaires d’elle. Celle du Midi peut être éblouissante noyant les choses, les plongeant dans une immatérialité trouble. Les lavis à l’encre de Chine de Daniel COULET ne sont pas des préparations à ses sculptures dont la monumentalité l’identifie aux églises romanes du Sud, à la fois élancée et trapue, produits de la terre, élans ramassés vers le ciel. Ses œuvres refusent l’effet, les spéculations hasardeuses, les procédés ; leur pouvoir d’étrangeté les rend tragiques alors qu’elles sont seulement vraies, d’une vérité graphique qui n’a rien de dérangeant, ni de démoniaque. Le peintre a beau être « habité » il ne travaille pas dans la fièvre ; les gens du Midi, race singulière, sont ainsi, violemment intériorisés, mais dénués de trouble, le mystère naît du quotidien, de la vie. Observer et imaginer pour Daniel COULET c’est tout un.

Ses encres n’explorent pas l’inconscient, mais rendent compte d’un monde intérieur entre le réel et le fantastique, la précision et l’allusion, scandé par les arches, les ogives et les arbres qui viennent de sa sculpture, enracinée elle aussi dans la symbolique romane. Celui qui a conçu le Mémorial, le pont et l’autel de Rennes-Les–Bains, les arbres fantomatiques du métro de Toulouse, le Monument pour les oiseaux de Montségur, travaille pour les hommes, leurs désirs et leurs besoins de chaque jour ; il est proche d’eux, de leurs préoccupations et de leurs travaux… »

Extrait du texte de Pierre Cabanne : Les vitraux de l’église Notre Dame d’Aubin, 2002, éd. Un ,deux…quatre. Clermont-Ferrand

Sculptures et encres de Chine 1996 couverture 2

Sculptures et encres de Chine

Pierre Cabanne

Catalogue d’exposition, musée des Beaux-Arts Denys Puech, Rodez, 1996

Sculptures et encres de Chine

« Les innombrables usagers du métro toulousain qui côtoient, à la station Mirail-Université, L’Arbre fleur ou La Fleur stalagmite, et leurs projections en silhouette dessinée sur le mur, pensent-ils que ces oeuvres doubles de Daniel Coulet contiennent la vie qui circule au coeur et dans le sol des villes ? La sève des organes n’ayant ni temps, ni lieu, mais portant à la fois la lumière et l’ombre, la rumeur et le silence, dans leurs foisonnantes frondaisons. Ces arbres donnent la signification que Daniel Coulet confère à son oeuvre, une croissance sans limites dont la ville est le laboratoire, où le ciel dépasse les murs, où chaque sculpture en contient parfois une autre, comme greffée, née d’elle, gardant le rythme de la première dans son développement que l’oeil surprend et que la main guide. Daniel Coulet est enraciné dans le réel, c’est à la nature qu’il a pris ses premières formes dont il fait les éléments vivants, sans cesse recréés, de son répertoire inspiré. Il ne s’est jamais détaché de ses origines terriennes, il a été élevé, dit-il, « loin de tout », et il vit aujourd’hui dans une solitude où l’horizon et le ciel sont sans fin ; le paradoxe est que, malgré ce retirement, ou mieux sans doute à cause de lui, il ne cesse de travailler pour les hommes des villes. Les trois pièces monumentales qu’il expose à Rodez, le Monument pour les oiseaux de Montségur, la Porte cendrée et L’Architecture en mouvement, le prouvent.

Construites en pâte à modeler synthétique sur des armatures de grillage montées comme des structures d’appui, ces oeuvres, dont l’envoûtante singularité court la chance d’atteindre à l’opération magique du poème, contiennent la trace des doigts qui en ont saisi les rythmes et les masses.

Non loin du camp dels Cremats à Montségur, se dressera cette arche immense épaulée sur une figure dont la tête est la clé de voûte de l’ensemble, avec ses colonnes frémissantes, ces épines dorsales que traverse l’espace. Elle est le portique de la tragédie, les propylées de la mémoire, le temple du temps au pied du pog.

Le symbolisme de la porte est lié, chez Daniel Coulet, au mystère de la création. Il est curieux de voir, dans la pièce intitulée L’Architecture en mouvement, l’élévation des formes se mêler, s’enchevêtrer à des structures végétales ou pareilles à des muscles dont les cambrements et les enlacements, prisonniers de la perception sensorielle qui les a créés, ont l’indiscutable présence de la fusion des règnes.

Toutes les sculptures de Daniel Coulet, nées du silence, de la méditation, de l’observation, en témoignent : l’humain, le végétal et l’animal ont la même force, la même évidence. La vie est vulnérable, mais elle est seule capable de donner naissance à du vivant. Et le vivant, pour lui, ce sont les autres; c’est pour eux, leur existence quotidienne, leur vivace et fragile durée d’hommes qu’il a conçu le mémorial, le pont et l’autel de l’église de Rennes-les-Bains, les arbres du métro de Toulouse, et qu’il projette, avec une incroyable énergie qui lui fait bousculer les administrations léthargiques, des sculptures pour les aires d’autoroute, des fontaines et de nombreux projets qu’il est allé montrer jusqu’en Chine. Dans les petites pièces, arches et portes, qu’il expose à Rodez s’expriment les mêmes appels que dans les oeuvres monumentales.

L’artiste a besoin des hommes, les hommes se regardent et se retrouvent en eux. Fini le temps où il déroutait et scandalisait, l’échange est de connivence et de complicité, à plus forte raison de nécessité; les sculptures sont, dans la ville, des ancrages partagés, l’affirmation d’un langage que la passion commune justifie et comprend. La dure clarté du Midi noir, qui n’est pas celui des plages ou des vacances, a donné ses yeux à Daniel Coulet; on retrouve chez lui la matité rugueuse des pierres, les striures des sillons, l’espace qui agrandit les horizons à l’infini. Il n’est pas le sculpteur de la forte ardeur solaire, mais des ombres qui s’allongent jusqu’à composer, à la limite du jour, l’alphabet géant d’une langue reconquise. Ce Midi est le nôtre, une identité qui ne se partage pas avec n’importe qui. Le dessin au lavis d’encre de Chine, où il y a aussi des arches et des hommes, sont le complément, la projection de ses sculptures en traits noirs et gras, taches diluées, empâtements et coutures ; les uns et les autres sont indissociables. Ils contiennent la même révélation profonde, naturelle, intérieure ; il nous font partager l’angoisse et la ferveur, la réconciliation et le tumulte. Le Jugement dernier, les Personnages dans la forêt, ou dans un paysage, les Personnages en mouvement, prennent forme et vivent dans l’impulsion du désir. « Il ne peut y avoir de fin possible, parce qu’au fur et à mesure que tu t’approches de ce que tu vois tu en vois davantage… », disait Giacometti à un ami. C’est pourquoi les personnages de Daniel Coulet ont l’air de fuir pour en poursuivre d’autres qui ne sont qu’eux-mêmes.

Lui qui a vécu avec les chevaux dans son enfance, a sculpté un grand Pied de cheval, en résine, d’un mètre, qui accueille les visiteurs du musée de Rodez sur le palier de l’escalier; je le vois dressé sur la plaine lauragaise comme un signe du temps retrouvé, une annonciation sur cette terre à la fois apaisée et brûlée sur laquelle se dessine et s’affirme un destin. »

Pierre Cabanne
Juin 1996

Bibliographie

2020

Christian Sabathié, La Grande Jambe de Cheval, Atelier, Paris

2019

Olivier Kaeppelin, Les Arches de Daniel Coulet, Dessins d’Arches, Les Rencontres d’Art Contemporain Editions, Cahors

2018

Jean Penent, Ce monde qui vient (préface), Château de Launaguet
Guy Claverie, Lecture(s) de la tradition, Château de Launaguet

2017

Olivier Kaeppelin, Les Arches de Daniel Coulet, Somogy, Paris
Guy Claverie , Les Arches etc…, Château de Laréole

2014

De l’art au design, du design à l’industrie, publication de la société d’éclairage public Ragni SAS, Cagnes-sur-Mer

2012

Beate Reifenscheid, Ludwig Museum, 1992-2012, 20 Jahre, Heinrich Koblenz, Coblence

2011

Olivier Kaeppelin, Tram, Friedmann, Pencreac’h, Coulet, Fauguet, éditions Privat, Toulouse
Toulouse, territoires du tramway, sous la direction de Robert Marconis, éditions Privat, Toulouse

2010

Beate Reifenscheid, Jean Penent, Pierre Cabane, Daniel Coulet, entre ciel et enfer [Zwischen Himmel und Hölle], Ludwig Museum, éd. bilingue, Silvana Editoriale, Milan
Daniel Coulet, zwischen Himmel und Hölle, in Kultur Info Koblenz
Daniel Coulet, zwischen Himmel und Hölle, in Top Magazine Koblenz
Coulet im Museum, in Rhein-Zeitung
Daniel Coulet, zwischen Himmel und Hölle, in Blick aktuell Koblenz
Neue Ausstellung im Museum, in Super Sonntag
Daniel Coulet, zwischen Himmel und Hölle, in Picture-Kulturspiegel
Daniel Coulet, zwischen Himmel und Hölle, in Wällerbote, 9. Jahrgang
Liselotte Sauer-Kaulbach, Daniel Coulet, zwischen Sintflut und Paradies, in Rhein-Zeitung
Kunst zwischen Himmel und Hölle, in Rhein-Zeitung

2009

Michèle Heng, Daniel Coulet revisite l’art sacré, in Atlantica N°165

2007

Pierre Cabanne, Daniel Coulet, Les vitraux de l’église Notre-Dame d’Aubin, éditions Un, deux, quatre, Clermont-Ferrand

2006

Mâts pour éclairage public, publication S. A. Petitjean, collection Contemporaine, Troyes

2005

Henri-François de Bayeux, Daniel Coulet, lavis des ombres, in Libération
Lydia Harambourg, Daniel Coulet, entre lumière et ténèbres, in Gazette de l’Hôtel Drouot N°16
Geneviève Breerette, Daniel Coulet, sombre vision, in Le Monde
Pierre Cabanne, Daniel Coulet, catalogue d’exposition, Galerie Libéral Bruant, Paris

1999

Jean Penent, Daniel Coulet, Les Cathèdres, cat. exposition, Les Olivétains, éditions CG31, Saint-Bertrand-de-Comminges

1998

Serge Pey, Daniel Coulet, Tout Homme. Le Lampeur. Poème pour les hommes de Carmaux, encres de Daniel Coulet, Caisse des Dépôts et Consignations, Paris
Marc Alizart, Mille sept cent francs d’absolu, Galerie Eric Dupont

1996

Pierre Cabanne, Sculptures et encres de Chine, cat. exposition, musée des Beaux-Arts Denys Puech, Rodez

1995

Patrice Beghain, De Toulouse à Chongqing, cat. exposition musée des beaux arts de Chongqing, musée Paul-Dupuy, Toulouse

1994

Escultura de grandes dimensiones en el roser, Segre
Jordi Ubeba, Arquitectures estalagmitiques, in Nou Diari
Patrick Vandevoorde, Entretien, École des beaux-arts Lerida, Lerida (Catalogne)

1993

Christine Barbastre, Les Couleurs du métro, MT Développement, Toulouse
Christine Barbastre, Sculptures et dessins, cat. d’exposition, MT Développement Toulouse, coédité par la galerie Éric Dupont, Toulouse
Christine Desmoulins, Ticket de l’art dans la ville rose, in D’architecture
Martine Kis, L’art prend le métro, in Carnet de l’urbanisme, 1993
Pierre Rey, Quinze Artistes dans le métro, MT Développement, Toulouse
T. S., Métro : artistes en sous-sol, in Urbanisme
Intérieurs, cat. exposition, coédité par le musée des Beaux-Arts Denys-Puech (Rodez) et le musée Goya – Centre d’Art contemporain (Castres)

1992

Daniel Coulet, Nicolas Sanhes, Rolino Gaspari, Thierry Boyer, Entrée en matière, cat. d’exposition, Centre Bradford, Aussillon
Philippe Pujas, L’artiste appelé à servir la qualité de la ville, in La Tribune de l’Expansion

1991

Galerie Éric Dupont, Daniel Coulet, Toulouse, 1991

1990

Alain Mousseigne, Choix d’abstraits, musée d’Art moderne, Toulouse
Alain Mousseigne, in Ninety, numéro spécial Jeunes à suivre

1988

Patrice Beghain, Coulet, Le voyage de Jeanne, cat. d’exposition, éditions Arpap, Centre régional d’art contemporain Midi-Pyrénées, Labège

1987

Michel Servet, Patrimoine, art contemporain 87, Conseil général de l’Aude

1985

Alain Mousseigne, Daniel Coulet, Moments d’une démarche, Réfectoire des Jacobins, cat. d’exposition, Toulouse